Sandrine & Noémie : Bonjour Sophie, Elena, pouvez-vous présenter chacune votre parcours ?
Sophie : Je suis d’abord une maman de 2 grands enfants, qui adore lire et danser ! Après l’organisation de l’événement Girls Tech Day à Paris, en 2018, en collaboration avec le CNFF et avec pour marraine Merete Buljo de Digital Ladies & Allies, j’ai profité de mon chômage partiel pour créer l’association @Maryse Project pour contribuer à l’acculturation numérique en Guadeloupe, avec une attention particulière pour les jeunes femmes. Je suis aujourd’hui Business Data Analyst dans une filiale de Safran, dans le domaine de l’aéronautique. C’est une étiquette qui regroupe plein de missions. C’est un nouveau métier pour moi. J’ai relevé le challenge d’une reconversion et j’ai encore beaucoup de choses à apprendre, même si j’ai déjà acquis des connaissances en autodidacte.
Elena : J’ai 18 ans et je suis en Hypokhâgne car j’adore lire aussi ! Je baigne dans la Tech depuis toute petite car mon père m’emmenait à des « Coding goûters », où on apprenait tous ensemble de manière intergénérationnelle. J’ai fait cela longtemps et c’était naturel pour moi. J’ai pris part au Girls Tech Day en tant que bénévole, et ça a été un déclencheur. Avec Magic Makers, j’ai suivi le parcours Tech4Good. Le but était de monter en équipe un projet entrepreneurial où la technologie permettait d’avoir un impact positif sur la société.. On avait décidé de proposer un système d’upcycling à partir de vêtements de seconde main et redesignés par des jeunes créateurs. Pour faire taire les préjugés, je tiens à préciser que j’étais en terminale L et que tous les samedis matins, je me levais tôt pour me rendre aux ateliers de code où nous apprenions à programmer une application Web. C’est ce qui me fait vibrer dans le code c’est essayer, utiliser les outils, tester, voir ce qui ne marche pas, trouver des solutions détournées, surpasser mes problèmes. Le fait qu’il manque une virgule et qu’il faut relire pour que cela marche. J’aime vraiment cela !
Sandrine & Noémie : Elena, comment vis tu ton parcours littéraire et ton goût pour la Tech ?
Elena : La Tech fait partie de ma vie au quotidien, il est important pour moi de comprendre les outils que j’utilise. Au lycée, j’avais voulu m’inscrire à des cours de programmation sur calculette. Mais parce que j’étais en L, on m’a dit : « Tu ne t’inscris pas, tu ne fais pas de maths.» Je ne comprends pas pourquoi. Ne pas faire de maths ne m’empêche pas de développer un raisonnement logique et de comprendre ce qui se passe. On catégorise beaucoup : littéraire, c’est des livres et tout ce qui est programmé, c’est des matheux. Ben non, je n’aime pas les maths et pourtant je programme. Cela ne me pose pas de problème. Et quand il s’agira de mon orientation professionnelle, je veux être libre de mon choix.
Sandrine & Noémie : Et toi Sophie, même envie d’ouvrir les portes avec ta reconversion Data Business Analyst ?
Sophie : Contrairement à Elena, j’étais nulle en maths, peut-être parce que j’ai appris à l’époque avec des méthodes qui n’étaient pas accessibles. J’étais plutôt langues. J’ai repris mes études deux fois, avec un DESS Commerce International et un Master Banque et Finance. A mon 1er poste chez Safran, j’ai identifié une problématique avec des tarifications bancaires qui n’étaient pas alignées globalement au niveau du Groupe. J’ai proposé une solution et j’ai rejoint le siège de Safran avec la création d’un nouveau département : partie RH, nouveaux process, conduite du changement et mise en place d’un outil informatique pour suivre les engagements. Je ne suis ni informaticienne, ni mathématicienne, mais j’adore ça, en apprenant sur le terrain.
J’ai changé pour apprendre autre chose. Aujourd’hui, je suis Business Data Analyst pour avoir un poste dont l’intitulé veut dire quelque chose ☺ Je ne connais pas Python, je ne connais pas les outils mais je sais chercher les indicateurs. Je sais regarder les données et j’ai envie de m’améliorer et d’apprendre. J’aurais été incapable d’accepter un poste pour lequel je n’ai pas toutes les compétences 5 ans auparavant. Je ne coche pas toutes les cases mais j’y vais quand même. Oui, c’est dur, c’est très dur. Les 6 premiers mois, j’ai eu beaucoup de doutes. Gros stress. Avec un peu de recul, on se remet en ordre de marche : identifier les problèmes et ne pas avoir honte de demander de l’aide. J’ai pris mes marques. J’ai d’abord beaucoup appris en autodidacte et sur Internet et maintenant, je suis une vraie formation payée par l’entreprise. Je suis en plein Python ! Comme le dit Elena, on éprouve un grand plaisir à passer du concept à sa matérialisation : au début, cela ne marche pas comme tu veux et quand l’idée se concrétise, c’est une immense satisfaction, et un sacré soulagement!
Sandrine & Noémie : Comment échangez-vous entre vous ? « Esprit d’intrapreneure, d’entrepreneure. On aime trouver des solutions, tester, pas de portes fermées » Beaucoup de points communs ?
Sophie : Elena fonctionne comme une ingénieure dans sa tête. Elle prend le temps de l’observation ce qui permet de trouver les bonnes solutions aux problèmes. Alors, je lui demande souvent « Comment tu aurais fait cela ?” Je suis souvent ravie de son esprit d’analyse, de ses conseils pratiques et de sa capacité à détourner les objets. C’est une pro de l’innovation frugale Quand j’ai besoin d’un éclairage pour mes exercices Python, je l’appelle à la rescousse.
Elena : Je lui ai donné mes cours d'algorithme de seconde.
Sophie : et il est super utile, je m’en sers !
Elena : J’admire ma mère. C’est mon rôle modèle dans le sens où je me construis comme ou contre elle ! Noémie : parce que contre elle, c’est normal aussi !
Elena : Elle se remet en question, se dépasse. C’est une super maman. Elle est tellement intéressante et savante qu’elle me pousse à toujours aller plus loin dans ma réflexion. Quand j’ai une dissertation, je lui demande « à quoi cela te fait penser ? ». Elle partage volontiers ses premières impressions avec moi et cela m’ouvre de nouvelles perspectives. Avec le confinement, notre relation a évolué. Comme on a été confinées ensemble, on est plus proches l’une de l’autre.
Sophie : Elena m’influence de manière positive. L’éducation est à double sens. Involontairement, elle m’éduque autant que je l’éduque. On s’aide mutuellement à s’épanouir individuellement. C’est une force.
Sandrine & Noémie : Sophie, que dirais-tu à une femme qui réfléchit à se reconvertir ?
Sophie : Apprendre à apprendre sans avoir peur. Essayer ! Le passage à l’action permet de voir ce qui se passe. Et si cela ne marche pas, le monde ne va pas s’écrouler. “Numérique” est un mot fourre tout qui peut faire peur. Les outils numériques sont à notre disposition. Derrière ces outils, il faut poser des règles, une vision, des principes, sinon ce n’est rien. Il y a un tout un travail en amont de réflexion sur un outil. Si on veut que le numérique ait un impact positif, il faut le vouloir. Ou c’est l’économie, sans foi, ni loi qui s’imposera, encore. Chacun de nous peut décider et agir à son niveau.
Rassurez-vous! La tech est déjà dans votre vie ! C’est à vous de décider d’aller vers elle. Et de choisir ce que vous voulez en faire.
Sandrine & Noémie : Elena, que dirais-tu à une jeune fille qui ne se projette pas encore dans un métier du numérique ?
Elena : La Tech est dans notre quotidien. C’est concret : c’est notre téléphone, avec des vraies personnes qui ont travaillé au design, à la conception du produit. Il ne faut pas en avoir peur, au contraire, mieux vaut la dompter en donnant le meilleur de soi-même pour un impact positif. Ceux qui codent les algorithmes ont des biais inconscients qui se matérialisent dans leurs programmes. Si le panel des codeurs n’est pas assez diversifié, la tech qui est un moyen de façonner un monde plus éthique deviendra la cause d’une ségrégation sociale. Si les femmes ne sont pas impliquées rapidement en plus grand nombre dans l’élaboration de ce demain digital, elles en seront exclues. La diversité permet de soulever les problèmes de chacun et de les résoudre grâce à l’intelligence collective.
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